Ce qui m’a marqué lorsque j’ai rencontré Armand Heitz, c’est la conviction avec laquelle il mettait en avant la nature et pas son savoir-faire. Celle avec laquelle il défendait une philosophie du « non-agir », dans sa construction de ce qui a tous les traits d’une marque de luxe.
Une marque de luxe ?
Les marques de luxe mettent en avant la noblesse de leurs matières, la justesse de leur savoir-faire et le lien très particulier qu’elles entretiennent avec ceux et celles qui les portent.
Elles s’ancrent aussi dans le temps long, leurs origines remontant souvent à plusieurs générations, et se posent comme toujours actuelles, en collaborant avec créateurs et artistes d’aujourd’hui.
Pour communiquer clairement sur toutes ces dimensions (histoire vs actualité, matière vs savoir-faire vs relation client), elles mettent maintenant en avant les artisans qui les font.
Car ce sont eux qui sont le meilleur gage de l’authenticité du produit, lui confère toute la force de son travail et son histoire (Hermes est un bon exemple).
Armand Heitz, consciemment ou non, procède différemment.
Ce n’est pas son savoir-faire qu’il met en avant mais sa matière : la nature. Et s’il communique sur son travail, c’est pour dire combien d’efforts il fait pour « laisser toujours plus tranquille » cette matière, la nature.
Alors concrètement ?
Transfiguration de la démarche du vigneron
D’abord mettre de côté la « lutte contre » et tester un « travail pour ».
La démarche du vigneron revient alors à « plus écouter pour mieux faire ».
C’est-à-dire qu’au lieu de produire plus, de transformer plus son vin pour atteindre l’idéal mouvant du goût du consommateur, Armand Heitz concentre toute son énergie à la construction d’un écosystème cohérent, au sein duquel la nature pourra s’exprimer pleinement.
Ce changement de paradigme place la perfection de la nature au centre et on préfèrera identifier le travail de l’homme à celui d’un berger, qui veille à la sécurité de ses bêtes, plutôt qu’à celui d’un agent de manufacture.
Ce faisant Armand Heitz redonne ses lettres de noblesses à l’agriculture et lui confère une richesse spirituelle.
Et en revendiquant cette richesse spirituelle, cela lui offre à la fois :
Une direction, un plan de route, un argument de vente.
Un écosystème cohérent
En commençant par la diversification de l’activité :
20ha de vignes en Bourgogne (de Beaune à Chassagne-Montrachet), 8ha en Beaujolais ; 200 ha en polyculture/élevage (200 bêtes) et 60 ares en maraichage permaculturel.
Culturalement, il s’agit d’une démonstration de ce que peut produire une « agriculture du non agir ». Les efforts d’Armand et ses équipes s’axent sur la création d’un écosystème complet, qui s’entretiendrait lui-même et produirait ses fruits tout en enrichissant son milieu.
D’un point de vue technique, l’expérience d’un des pôles permet de gagner de l’expérience sur l’autre.
Économiquement, si l’un des pôles venait à être en difficulté, les deux autres le soutiendraient.
De la même manière que pour la culture, la conception qu’a Armand du management est celle d’un écosystème où chacun a l’espace d’être ce qu’il est.
Les postes sont ainsi façonnés par les profils des collaborateurs, qui apportent ce qu’ils sont au projet et le font évoluer.
Par ailleurs, les parties techniques et commerciales sont internalisées. Partant du principe que pour mettre en œuvre une vision ou pour la transmettre, il faut la comprendre, et pour la comprendre, il faut la vivre.
Une newsletter interne assure la transmission à tous des évolutions de l’entreprise et les produits sont proposés à un tarif réduit aux collaborateurs.
D’un point de vue commercial, la production de légumes et de viande de grande qualité lui ouvre des tables étoilées, tables qui s’intéressent alors à son vin. Et inversement.
Et la vision d’Armand Heitz participe de la qualité des produits qu’il propose : un sommelier mettra en avant la philosophie du vigneron, et un chef préfèrera façonner des produits d’exception.
Le dernier point que je relèverai est que l’accueil est l’un des premiers postes d’investissements : avec la création d’un point de vente à Pommard et la rénovation d’une bâtisse, pour accueillir les visiteurs et partager plus longuement sur le domaine et sa philosophie.
La promesse du vin, des légumes et de la viande
Armand Heitz semble avoir compris trois choses :
1- ce sont les grandes idées qui gagnent, pas les bonnes publicités
2- Une grande idée n’existe pas sans conviction
3- Une grande idée évolue dans un univers cohérent, s’entretient alors elle-même et s’étend à mesure qu’elle inspire.
La vision d’Armand Heitz est que sa marque soit simplement le témoin d’un espace, d’une expérience d’agriculture saine. Espace dans lequel on est invité à s’inscrire, en buvant son vin ou mangeant ses légumes et sa viande.
Comme évoqué, la revendication d’Armand d’une richesse spirituelle de l’agriculture implique donc une transformation de sa pratique, de son produit, et en définitive, de notre mode de consommation.
Car l’attitude que nous aurons vis-à-vis de son vin ne pourra pas être neutre : on sait qu’on ouvre à chaque fois une bouteille particulière, produite avec cette exigence, dans cet état d’esprit.
On la réservera donc à des moments particuliers, ou mieux, on choisira nous aussi, de l’inscrire dans un quotidien cohérent.
En définitive, le souhait d’Armand semble être que de plus en plus de producteurs puissent adopter cette agriculture et mettent en place un écosystème cohérent.
Ultimement, la conséquence serait alors la disparition progressive de la marque, au profit de la vraie star de toute cette histoire : la nature.
Et je trouve, très personnellement, cette vision remarquable.
Le site du domaine Armand Heitz
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